« Mais ici, c’est quoi le type de client qui achète vos motos ?« . Cette question qui fâche, je me rappelle l’avoir posé chez feu Paris Nord Moto. Pendant que je signais les papiers de rachat de ma MT-07, je regardais d’un œil circonspect l’échoppe Suzuki. Elle était bien moins vivante que les espaces Honda, Kawasaki, KTM et Ducati qui peuplaient la concession. Je me disais que c’était dommage, car Suzuki représentait pour moi la moto sportive avec l’Hayabusa et l’aventure avec le big DR.
Mais depuis la fin des années 2000, on s’emmerde un peu à Hamamatsu. Le catalogue est vieillissant, réduit à peau de chagrin et peuplé de déclinaison qui ne font pas illusion. J’en veux pour preuve la SV650 qui, avec son phare rond et son cadre-treillis, était devenue une néo-rétro malgré elle. Il y avait donc besoin d’un gros changement et fin 2022, la firme présentait au salon de l’EICMA à Milan (Italie) les V-Strom 800 DE et GSX-8S. Un trail et un roadster, que nous avons essayé pour cet essai, enfin dans l’air du temps.
Nouveau look, nouveau moteur, nouveau départ ? C’est ce qu’on est allé vérifier, non sans une once de réticence à l’idée de rouler décaréné en automne. Et ma foi, c’était pas si mal, surtout avec une belle playlist évoquant le bleu.
Comment avons-nous essayé la moto ? Pour cet essai, j’ai récupéré la Suzuki GSX-8S directement au siège social de la marque à Trappes. Initialement prévu pour une bonne semaine, j’ai demandé à le prolonger d’une semaine supplémentaire car le délai était beaucoup trop court pour s’en faire un avis, mais aussi, à cause de la tempête Ciaran qui rendait la conduite dangereuse. J’ai pu aller au boulot avec, rouler un peu le week-end et même eu l’occasion de déposer quelqu’un au métro. |
La musique pour démarrer la Suzuki GSX-8S : I’m blue, da ba dee da ba di
Il faut me comprendre. Du haut de mes deux mètres, je suis bien plus à l’aise sur les trails (cf notre test de la Honda Transalp). Alors retourner sur une « petite » moto, même le temps d’un essai sur un roadster, ne m’emballait pas trop. Mais que voulez-vous ? Il faut donner de sa personne chez Hoonited et parfois, on a de bonnes découvertes. Ici, j’ai été agréablement surpris par la GSX-8S et ses traits anguleux qui la rendent plus sexy en vrai qu’en photo. Mais surtout, bien plus méchante.
Un sentiment exacerbé par les arrêtes pointées vers l’avant du carénage, ses LED élancées et par ce phare à double optique en forme de diamant. Si certains le décrie, je le trouve vraiment chouette et donne une véritable identité visuelle aux Suzuki. Cela lui donne aussi un aspect robotique et froid amplifié par le coloris bleu appelé Pearl Cosmic Blue. Et si vous êtes allergique au bleu, il y a aussi du blanc / bleue et du tout noir.
D’ailleurs, si Terminator a jeté son dévolu sur une Harley-Davidson Fat Boy dans T2, je suis sûr qu’il roule dans le futur avec une telle Suzuki… ou du moins sur un modèle plus gros. À force de rouler en trail, j’avais oublié à quel point les roadsters pouvaient être compacts (2 115 x 775 x 1 105 mm pour la Suz’). Un bon point pour les plus petits, se garer en ville et se faufiler dans la circulation, la vocation première finalement de ce streetfighter.
Celle qui va bien à la Suzuki GSX-8S : Blue Suede Shoes
Allez, on tourne la clef de contact. Un rapide appui sur le bouton « démarrer » permet d’enclencher la mécanique. Merci les assistances électroniques Suzuki. Le moteur vrombit pendant que l’écran TFT couleur s’allume. Pas de superflue, il s’évertue à afficher en permanence les informations les plus essentielles pour rouler : la vitesse, le compte-tours, le rapport engagé, l’heure et la réserve de carburant. Depuis la main gauche, on a accès à 3 boutons très simples (une flèche haut, bas et un bouton mode) permettant de faire défiler quelques informations (le trip 1, le trip 2, la distance restante avant la panne sèche, le voltage de la batterie, etc.), de jouer sur le contrôle de traction et d’enclencher trois modes de conduite.
Le A est le plus vivant, le B est plutôt linéaire et le C ramolli vachement la réponse au gaz ; un choix de raison lorsque la météo ne permet pas de rouler sereinement comme lors de cet essai, mais que je trouve toujours aussi dangereux car empêchant les accélérations franches pendant les dépassements. Pour cet essai, la moto est restée quasiment tout le temps mode A que je trouve tout à fait domptable, même pour les débutants. Il n’y a donc rien de particuliers à bidouiller en conduisant, et c’est une bonne chose. À l’arrêt, vous pourrez toujours changer la luminosité de l’écran, avoir les rappels d’entretien, etc., dans un menu déroulant.
Si j’ai apprécié le fait que la moto puisse se mettre en marche d’un tout petit coup sur le démarreur, j’ai surtout aimé la présence du Low RPM assist. Une assistance qui, dès que vous relâchez l’embrayage, fait prendre des tours au moteur afin de ne pas caler. Au-delà d’éviter de passer pour un bleu au feu, cela permet, par exemple, si vous êtes bloqué en côte derrière une horde de motards, de ne pas vous vautrer bêtement. La commande électronique des gaz Ride-by-Wire est quand à elle progressive. J’ai aussi découvert une chose avec cette Suz’, le Quick-Shifter. Bi-directionnel, s’il vous plait !
Cette fonctionnalité de série sur la Suzuki GSX-8S permet de passer les rapports, en dehors de la première bien sûr, sans avoir à débrayer. En ramenant la moto chez la marque, j’ai appris qu’il y a une plage où les vitesses passent mieux, car autant à la montée qu’à la descente, j’ai trouvé ça très brusque (j’ai tendance à passer les vitesses dans le bas du compte-tour). Bien que j’ai plus souvent utilisé l’embrayage, la fonction reste intéressante, notamment lorsque le rythme augmente. Et en ville, cela peut toujours dépanner, et vous évitez d’avoir à réfléchir à l’usage de votre main gauche.
Sous la pluie en GSX-8S : Goodbye Blue Sky
En parlant de plaisir, Suzuki n’a pas boudé le sien. Si la GSX-8S a été sous le feu des projecteurs à sa sortie, c’est en partie parce qu’elle profite d’un tout nouveau moteur, un bicylindre en ligne de 776 cm3. Ce dernier développe 82,9 ch à 8 500 tr/mn, soit un peu plus que le CP2 de Yamaha (un 689 cm3 avec 73 ch à 8 750 tr/min), mais toujours moins que le moteur de la Honda Hornet (un 755 cm3 de 92 ch à 9 500 tr/min). Toujours est-il que les chiffres sont à mettre en perspective avec le ressenti sur route.
Au guidon de la Suzuki, j’ai apprécié ce moteur vivant et qui répond présent à toutes les plages du compte-tour. Il se montre à la fois docile à faible allure, notamment grâce à ses aides électroniques, et permet également de se tirer la bourre lorsqu’on essore la poignée. Surtout, le couple se montre présent sans être nécessairement violent. J’ai aussi remarqué qu’il est loin de faire pétarader le tout petit échappement de la Suz’. Au quotidien, je trouve ça très bien ; les passants sont moins agressés par le bruit et, paradoxalement, cela évite d’être galvanisé et donc, de rouler comme un con (my 2 cents).
Dans les petites routes de campagne, la machine se penche facilement de gauche à droite. Sans être un expert en chassis, celui-ci en acier inspire la confiance et permet d’évoluer en toute sérénité sur la route tant il est précis. J’en veux pour preuve mon aller et retour vers la concession réalisée sous la pluie battante où la machine était assez peu impactée par les intempéries. Vous trouverez d’ailleurs à l’avant une fourche inversée KYB et un mono amortisseur KYB ajustable en précharge à l’arrière.
Aussi, je me dois d’évoquer la question du poids qui, je trouve, dessert la GSX-8S… pour rien. Avec le plein d’essence, la moto pèse 202 kg, soit un peu plus de 10 kg de plus que la concurrence. C’est beaucoup, et en même temps, pas grand chose. Avec mon gabarit, je n’ai jamais ressenti ce poids supplémentaire comme une gêne. Je trouve au contraire que cela assoit davantage la moto au sol. Même quelqu’un d’une plus faible corpulence que moi n’aura pas peur de la lâcher ou de pencher avec.
Enfin, le moteur est équipé du Suzuki Cross Balancer. En gros, l’arbre à cames biaxial positionne les deux balanciers à 90° par rapport au vilebrequin, ce qui a pour effet de limiter les vibrations lors de la conduite et d’avoir un moteur compact. J’ai fait l’erreur d’oublier de lancer mon sismographe afin de mesurer cela (peut-être à mon prochain passage chez Suzuki), mais mon smartphone accroché via un support Quad Lock au rétroviseur droit ne m’a pas semblé vibrer.
Quand je rends la Suzuki GSX-8S : It’s All Over Now, Baby Blue
En faisant 1m90, je me retrouve légèrement penché vers l’avant et avec les jambes un tantinet recroquevillées. Installé sur la moto, je domine la route et m’implique davantage dans les virages. On prend rapidement la confiance, même entre les voitures, d’autant qu’elle est facile à manœuvrer. Aussi, j’ai bien aimé la grande place laissée pour les pieds (je chausse du 44) et que ces derniers ne reposent pas sur le pot d’échappement.
Je ne pensais pas avoir l’occasion de faire du duo, mais la vie est parfois faite d’imprévus. J’ai pu emmener ma tante sur un court trajet, environ 10 km, pour la déposer à la station de métro. Bon, sur 20 minutes, le trajet n’a pas posé de problème, surtout avec une personne de petite taille, mais n’espérez pas voyager à deux avec (c’est valable pour tous les roadsters).
La moto embarque aussi des étriers de frein à montage radial à l’avant associés à des doubles disques de 310 mm. À l’arrière, il faudra se contenter d’un disque de frein de 240 mm. Le freinage est convaincant à mon sens, tout comme les Dunlop RoadSport 2 montés de série. Vous aurez à l’avant un pneu en 120/70 de 17 pouces et à l’arrière de 180/55 de 17 pouces aussi. Je trouve ça même un poil too much par rapport à la puissance moteur, mais ça a de la gueule, je l’admets.
Un dernier point sur la consommation ; la GSX-8S embarque un réservoir de 14 L, tout aussi bien capable d’avaler du SP-98, que du SP-95 ou du SP-95 E10. Même en alternant ces carburants, je n’ai jamais senti de différence de puissance. Ce qui m’a un peu fait tiquer, c’est la consommation qui grimpe à 5 L / 100 km à mon allure (je fais beaucoup d’inter-files, il est vrai). Je dois donc tabler sur 250 km d’autonomie, en gros. Sans doute moins pour ceux qui s’aventurent hors des villes.
Le point sur la concurrence qui n’est pas bleue
Je l’ai rapidement évoqué plus haut, mais la GSX-8S doit faire face à la Yamaha MT-07 qui est un best-seller depuis 2015. Une position maintenue jusqu’à très récemment grâce à son moteur très coupleux, un look jeune et un prix bien placé (7 799 € en version Pure), même s’il n’a eu de cesse d’augmenter au fil des années. Il garde encore une solide réputation, notamment auprès des stunters, et reste très utilisé en moto-école. Pour certain, démarrer sur la même machine qu’en formation compte énormément.
Néanmoins, il semblerait que son temps soit révolu. La Hornet, présentée en même temps que la GSX-8S, possède un moteur plus puissant (92 ch), une connectivité accrue, 5 ans de garanties Honda et l’un des tarifs les plus bas du segment (7 999 €). Cependant, le frelon asiatique est moins bien équipé et est un poil en retrait côté finition.
Reste également la KTM Duke 790 qui est récemment ressortie du placard. Ce roadster mid-size pèse 180 kg seulement en ordre de marche et est garni d’un moteur bicylindre développant 95 ch. A 8 999 €, elle est 100 € plus chère que la Suzuki seulement, mais fait, comme elle, partie des mieux équipées du segment.
Alors, on l’achète cette Suzuki GSX-8S ?
Proposé à 8 899 €, la Suzuki GSX-8S semble chère. Mais quand on regarde dans le détail, elle dispose tout de même d’un Quick Shifter Up & Down de série, d’une fourche inversée, d’un bras oscillant en aluminium et globalement d’une meilleure finition, ce qui justifie en partie son prix de vente plus élevé. La puissance est là, la machine met en confiance et son poids « élevé » ne se fait à aucun moment ressentir. Alors si vous souhaitez rouler différent, avec une moto A2 ou en Full qui fait sérieux, je vous invite à ouvrir les portes d’une concession Suzuki et d’aller l’essayer.