Tata a décidé de tuer Jaguar pour faire renaître le constructeur tel un phénix, mais un phénix qui fait miaou. Reste à savoir pourquoi cette campagne de pub existe. Ouais, pourquoi ?
Dans ma vraie vie, je suis graphiste de formation. Enfin, mon métier de base, avant d’apporter des cafés dans lesquels j’ai délicatement craché à l’équipe de Hoonited, consistait à travailler sur Quark Xpress, insérer des visuels, des mentions légales et autres trucs auxquels vous, gens normaux, ne prêtez pas attention sur des créations graphiques. J’ai travaillé chez l’annonceur et j’ai également bossé avec des agences. Je vais donc vous donner mon explication (qui n’engage donc que moi et le reste de l’équipe, car je ne tomberai pas seul) de cette campagne Jaguar, d’un point de vue « créa han » comme on dit dans le jargon.
Jag War, Jag Dore !
Jaguar était un constructeur qui vendait des voitures à des vieux en mal de jeunesse. Une sorte de Viagra mécanique pour se sentir retourner en enfance, à défaut d’y retourner vraiment. Puis est arrivé Tata. Le constructeur (et groupe) indien a racheté la marque en 2008 et l’a laissée vivre sa vie, avec des modèles sexy, mais d’une autre époque. Comme cet enfant auquel on n’apporte aucune attention et qui finit drogué à faire des vidéos TikTok. Mais cet enfant finit généralement riche. Ce n’est pas le cas de Jaguar dont les ventes, divisées par 3 en 5 ans, sont tombées à 64 000 exemplaires en 2023.
Tata ne voulait cependant pas laisser la marque sombrer et a appliqué l’adage : Hakuna ma Tata. Le constructeur a donc décidé de lui donner sa chance. Pour cela, il fallait faire table rase du passé. Il fallait choquer, innover, changer, autrement dit en langage LinkedIn : casser les codes, han.
Tu travailles pour ton client, pas pour les internets
À cette volonté de casser les codes, une agence de com se doit de répondre à son client. Son client, c’est Jaguar et certainement le service communication du constructeur. Pas les gens qui fantasment sur des XJ220, ni même les acheteurs de F-Type. Et encore moins les internautes, qui glandent au taf, mais font acte de présence, faisant croire qu’ils sont en plein boulot, alors qu’ils attendent un feedback de leur N+1 qui n’arrivera que le lendemain matin.
Imaginez le brief qui n’a pas de base réelle (pas de modèle) :
« Jaguar souhaite rajeunir son image. Nous visons les jeunes riches. Nous n’avons pas de modèle de voiture à vous montrer. Il faut créer un logo différent. Il faut également réaliser un spot vidéo avec pour thème : casser les codes. Le spot doit être clivant. Bonne chance, Monsieur Hunt. »
Voici le résultat :
S’il y a bien une industrie qui passe son temps à casser les codes, c’est celle du textile, de la mode. Les défilés de haute couture sont intéressants pour comprendre les orientations stylistiques à venir. Ce que vous trouvez moche sur scène aujourd’hui, vous le porterez aisément et dépenserez peut-être pas mal de sous pour vous le procurer demain.
J’imagine bien le brief compliqué, car vide. La marque ne sait pas où elle va ou ne peut pas le révéler. L’agence bosse à l’aveugle. Le spot vidéo reprend intégralement les codes de la mode, sans s’engager sur quoi que ce soit. Car non, Jaguar ne va pas montrer de visuels des modèles à venir, chasse gardée du département design du constructeur, l’un des plus secrets de l’industrie, à une agence de com. Alors casser les codes d’un des logos automobiles les plus populaires et reconnaissables, ce n’est pas facile.
Là, le spot prend tout son sens. Oui, ça casse les codes. Il fallait évoquer la mode, le luxe. Le tout en étant ouvert, large, provoquant, inclusif, exclusif, disruptif, progressif et, visiblement en voyant les acteurs du spot, chétifs.
Cela dit, le post Linkedin de Nicolas Laperruque (un journaliste dont j’adore la plume) permet de relativiser, notamment cette partie :
« On peut y voir des danseurs visiblement anorexiques et malades, au teint inquiétant, évoluer de façon erratique au milieu d’un environnement peint en rose, sur fond de musique de merde. On dirait le spectacle de fin d’année d’un hôpital psychiatrique qui aurait mal tourné. «
Encore une fois, la pub ne sert pas à vendre des voitures ou à plaire à tout le monde. L’objectif déclaré par Rawdon Glover n’est d’ailleurs pas de vendre en masse, mais de faire évoluer la marque. Mais entre ne pas vendre en masse et ne pas vendre du tout, il y a un monde. Le groupe JLR (Jaguar Land Rover) reposant surtout sur Land pour faire du blé.
Un logo inspiré par Sephora
Quant au logo, il brise aussi les codes de la typographie. Mais casser les codes, ce n’est pas faire n’importe quoi. La typographie est probablement plus importante que le reste. Dans ce cas-ci, il n’y a rien de pire. Même un Comic Sans MS rendrait mieux.
Inspiré des typos de parfum, mélangeant majuscules et minuscules, ça n’a pas été réalisé à dessein mais visiblement parce que « c’était plus facile de faire comme ça ». En revanche, ça pioche dans le luxe, le parfum, la mode. Ce qui tranche avec une industrie mécanique. Bref, c’est vendable au client. À supposer que l’agence a tenu son budget et les délais de livraison, vous avez un projet réussi, un projet rappelant l’art contemporain. Vous avez alors un client content, et pas pour rien.
Le slogan « copy nothing », sous entendu « soit unique » est galvaudé par le fait que le logo est aussi générique que les 200 autres logos de marques de mode et de luxe.
Ajoutons enfin un crénage (espacement entre les lettres) trop important pour des lettres aussi rondes. Et pour cause, il est identique à celui de l’ancienne typo.
Enfin, loin de moi l’idée de tirer sur l’ambulance avec autre chose qu’un RPG-7 mais un tour sur le site Dafont (manne de typographies) montre que l’agence ne s’est pas cassée la tête, puisque la première proposition semble être une sacrée base de départ.
Un logo inspiré par Emil IA Paris
Ajoutons le nouveau logo, semblant avoir été bâclé sur Illustrator. Très inspiré de Giorgio Armani (copy nothing lol), il est trop simpliste à défaut d’être simple. C’est réellement le niveau 0 de la créa et je ne suis même pas sûr que vous tapez la moyenne à un BTS Graphisme avec une telle proposition.
Je vais m’arrêter là. Les visuels du concept car nécessiteraient un article dédié, et je n’ai pas prévu de le réaliser pour le moment. Mais une chose est sûre : il n’est pas utile d’investir dans des licences Catia, quand le travail d’un newbie sur Blender suffit.
De fait, autant je comprends la démarche créative, autant ce qui fonctionne pour des fringues dont les collections sont renouvelées deux fois par an ne fonctionne pas forcément pour un constructeur auto qui doit relancer une image pour les années à venir.