Possible fraude à la Mercedes 300 SL : l’affaire Kienle (surprise)

by Julien Zlata4 août 2023

Aujourd’hui on va parler d’un scandale (ou plutôt d’un Skandall, c’est en Allemagne que tout commence) dans le petit monde des autos de collection très chères. Du bruit dans le Landerneau des riches, un pavé dans la marre dans nantis, un coup de tonnerre dans le ciel bleu des 1 %.

On va discuter de Kienle Automobiltechnik.

Kienle est un triathlète professionnel marchand et restaurateur d’autos anciennes, spécialisé dans les Mercedes des années 60-70, et notamment la célèbre (et magnifique) 300 SL. C’est même une sommité dans le milieu, une référence. Et voilà que Kienle est accusé de fraude.

Une Mercedes 300 SL, deux numéros de série… identiques

Tout commence lorsque Ralph Grieser, qui préside aux destinées de Depot3, spécialiste des véhicules de collection à Mülheim-Kärlich, ramène une Mercedes 300 SL roadster rouge de Suisse. En effet, au moment de l’homologuer, surprise : il existe déjà une 300 SL roadster jaune immatriculée en Allemagne avec ce numéro de châssis, vendue en 2019 par Kienle Automobiltechnik. Étrangement, la blague ne fait pas rire Ralph, qui vient de dépenser 1,6 millions d’euros pour sa nouvelle auto (peut-être pour un client d’ailleurs, ce n’est pas précisé).

Une Mercedes 300 SL à l’historique apparemment clair

Ralph porte alors plainte, et il a des arguments : la voiture qu’il a achetée possède un historique clair : un premier propriétaire de 1961 à 1969, puis un deuxième de 1969 à 2022. Et lui. Inspectée par deux experts indépendants avant la vente, et aussi par Ralph, qui connaît bien le modèle, la capote, le pare-brise, les fenêtres, les tapis sont d’origine, et la voiture n’a jamais été restaurée. Elle a par ailleurs été authentifiée par deux experts indépendants.

La voiture de Grieser est apparemment le sixième exemplaire construit avec des freins à disques et dans sa teinte Phantasiegelb (jaune fantaisie), et exposée lors du salon de Genève 1961, avant son achat par son premier propriétaire en 1962. Elle a ensuite été repeinte en rouge avant son rachat par Ralph.

Appelez-moi l’inspecteur Derrick

Rigoureuse, comme on le sait, la polizei perquisitionne donc le 31 mai 2023 les locaux de Kienle Automobiltechnik ainsi que la demeure du gérant, Klaus Kienle. Les autorités saisissent deux voitures et plusieurs pièces de Mercedes 300 SL car elles soupçonnent une fraude aux numéros de châssis. Ce dernier utiliserait des numéros de châssis d’exemplaires « perdus », endormis dans des garages depuis des décennies ou détruits, pour refabriquer de « nouvelles » 300 SL. Et quand on retrouve un de ces exemplaires « perdus », comme l’a fait Ralph, ça coince.

Du côté de chez Kienle, évidemment, on dément : « Das leben meine mutter, ich habe nichts machen irgendetwas« , qu’on pourrait traduire par « Nous réfutons ces allégations avec véhémence, nous sommes innocents tel l’agneau qui sort de l’œuf » (en gros). Dans un communiqué daté du 6 février 2023, le fondateur, Klaus Kienle, explique que les allégations sont infondées car Kienle n’était qu’intermédiaire dans la vente de « son » exemplaire en 2019. Il précise que « un grand nombre de papiers et documents divers accompagnait le véhicule » mais également que « ce roadster n’a jamais pénétré l’atelier de Kienle Automobiltechnik à des fins de restauration. Nous n’étions qu’intermédiaires de vente. » Enfin, il est à noter que le roadster vendu par Kienle n’a pas fait l’objet d’une authentification par l’usine, qui propose ce genre de service, mais l’acheteur n’en a pas fait la demande (Kienle recommande d’ailleurs pourtant de le faire).

Les conséquences ? Quelles conséquences ?

L’affaire est sérieuse : Kienle est un des spécialistes les plus respectés dans le milieu, et les implications de cette perquisition sont nombreuses.

Pour les clients de Kienle d’abord : ces derniers ont acheté au prix fort leurs autos. En effet, acheter chez Kienle, c’est payer très cher, mais avec le confort inestimable d’acheter une auto parfaite et originale. S’il s’évère que Kienle a falsifié des numéros de châssis, la valeur de leurs voitures va s’effondrer, voire pire : comment immatriculer une voiture dont on ignore le numéro de châssis ?

Pour les professionnels ensuite : le voile noir de la suspicion s’abat sur tout un petit milieu qui marche à coups de millions et de réseaux bien entretenus. L’ombre de la culpabilité, réelle ou imaginaire, rôde dans les cours et les garages. Bref, ça craint. Parce que non seulement les restaurateurs du milieu seront soupçonnés, mais leur compétence sera également mise en doute de ne pas avoir détecté la supercherie, voire de l’avoir couverte.

Enfin, il est possible que tout cela retombe comme un soufflé : peut-être que Kienle n’a rien fait, que c’est le vendeur du roadster de Ralph qui a falsifié son exemplaire, et enfin peut-être que même si la culpabilité de Kienle est avérée, le milieu fermera les yeux : personne n’aime crier à la face du monde qu’il s’est fait rouler, surtout pour des sommes pareilles. Ce genre d’affaire a déjà ébranlé le milieu, comme tout milieu où il y a de grosses sommes en jeu.

Seule la suite de l’enquête pourra nous éclairer.

Mais sinon, les répliques, c’est plutôt cool, merci d’avoir assisté à mon Ted Talk

Les répliques de voitures mythiques sont parfois d’un niveau de précision et de perfection qu’elles sont littéralement indiscernables des originales : on pense notamment aux Bugatti de chez Pur Sang, en Argentine. A titre personnel, je n’ai rien contre les répliques, bien au contraire (tout le monde n’a pas 8 millions d’euros à mettre dans une Ferrari 250 passo corto, par exemple), mais il ne faut pas essayer de faire passer des vessies pour des lanternes.

Photos : RM Sotheby’s épissétout.

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Julien Zlata