Venturi 400 Trophy : le PRV NRV
Je continue avec les légendes des années 90, et aujourd’hui on va parler de la Française la plus performante jamais produite : la Venturi 400 Trophy. Mais on va parler de deux voitures, et pour cela il y a une bonne raison qui va vous étonner ! Abonne-toi et mets la cloche !
Venturi 400 Trophy : La F40 française
Quand j’étais jeune, c’étaient les années 90 : je suis né en 1983, et j’ai pris toute une vague d’autos merveilleuses en pleine figure pendant mon enfance et mon adolescence. J’en ai tiré un goût pour les trucs un peu étranges, les autos originales, et je suis devenu un vieux con qui n’aime pas trop les caisses d’aujourd’hui. C’est comme ça. Toujours est-il que pendant ces années-là, on avait en France une vraie marque de voitures sport, qui s’appelait d’ailleurs comme ça : la Manufacture de Voitures de Sport, ou MVS, puis Venturi tout court. Née en 1984, la marque est créée par deux passionnés, Claude Poiraud (qui n’était pas un légume, Ho ho ho) et Gérard Godfroy (qui aurait bien fait un Bouillon avec Poiraud à un « e » près, vous l’avez ? Elle est nulle, je sais).
La Venturi 400 Trophy, c’est d’abord un rêve
Il faut dire que, être passionnés de voitures de sport en France dans ces années-là, c’est avoir connu les Ligier, les CG, les Panhard, les Alpine (en pleine forme en 1984 d’ailleurs !), les Fournier-Marcadier, les Matra, les René Bonnet… Bon j’arrête. C’était un peu un âge d’or du sport auto, avec des autos légères aux mécaniques populaires : léger c’est bien, comme dirait une version française de Colin Chapman. Donc, en tant que passionnés d’autos de leur jeunesse, ils se sont dits que la meilleure chose à faire c’est de publier sur Hoonited créer leur propre marque de sportive !
C’est donc parti : Godfroy dessine l’auto, et Poiraud s’occupera de la partie technique. Les deux hommes créent donc une maquette de ce qui s’appelle encore la Ventury. Au début, simple démonstration de leur savoir-faire, l’avenir va vite se concrétiser pendant le Mondial de Paris 1984 et la première présentation au public : ce dernier est très enthousiaste. Il faut dire que la ligne est plutôt belle, inspirée des Ferrari et Corvettes de l’époque : la Testarossa, la 308 ou la Corvette C4 auraient du mal à la renier ! Très datée années 80 (c’est ce qui fait son charme désuet aujourd’hui), la carrosserie est en fibre, solution à la fois économique et légère (coucou Alpine !).
Mais bon, c’est pas seulement avec des gens enthousiastes qu’on crée une marque, il faut de l’argent, et beaucoup. Et ça tombe bien, parce que dans la foule du salon 1984, de nombreux investisseurs se disent que ça pourrait bien marcher. Et pour se lancer dans cette aventure, on va commencer par remplacer Ventury par Venturi, avec un i « comme Ferrari ». Une décision qui fait son petit effet (vous l’avez ?) !
Le Venturi intercontinental… ha non, c’est autre chose.
Les premières esquisses de Venturi sont prévues pour être motorisées par des quatre cylindres, issus de la grande série (Peugeot 505 notamment), mais très vite le constructeur se dirige vers la tarte à la crème des moteurs français, l’incontournable, l’international (c’est lui dans la DeLorean DMC-12), le mythique V6 PRV ! Et c’est chez Venturi qu’il s’exprimera le mieux, grâce au joker de tout motoriste feignant, le turbo ! Dans les Venturi, le V6 fera ainsi 200, 260, 281, 310, 408, 500, 600 chevaux… selon les autos et les versions.
Mais revenons à notre mouton : la Venturi 400 Trophy. Je n’écris pas 400 GT, et c’est volontaire : la bête a existé en deux versions, toutes deux ultra-performantes, avec des philosophies un peu différentes. Fermez les yeux : nous sommes en 1992, Venturi vient de racheter l’écurie de F1 Larousse (excellente idée pour perdre de l’argent, surtout quand on n’en a pas des masses).
Stéphane Ratel, alors directeur du service compétition de la marque, propose de son côté de créer un championnat pour gentlemen drivers où tout le monde aurait la même voiture, et pour lequel la marque gèrerait l’intégralité de la logistique pour les pilotes : ceux-ci, en plus de l’achat de la voiture (466 000, puis 586 000 francs après la présentation, suite à une réévaluation des coûts de production), paieront 100 000 francs de plus pour participer. À chaque manche du championnat, leur voiture arrive par camion, est déjà préparée, ils ont juste à se glisser dans le baquet et à conduire le plus vite possible (drive it like you stole it, comme diraient les Américains, toujours subtils). Le succès est immédiat : rien que lors de la soirée de présentation, 30 bons de commande sont signés.
C’est l’homme qui t’a créée, avec de la terre glaise, et c’est pas des foutaises, c’est dit dans la genèse
Le trophée se courait sur les circuits les plus prestigieux : Le Mans, Pau, le Paul Ricard, le Nürburgring, Magny-Cours, Dijon, Spa… Et pour cela, il faut une voiture qui envoie très fort. Ce sera donc une évolution du coupé 260 : (très) bien né, ce dernier a comme seul défaut un manque de puissance. Tous les essayeurs de l’époque et les propriétaires (encore aujourd’hui) chantent les louanges de son châssis-poutre à la fois léger et très rigide, et de ses trains roulants aux petits oignons. Les ingénieurs partent donc de cette base pour en faire une version encore plus orientée course.
La carrosserie est évidemment retravaillée, au point où le dessin est complètement nouveau, et le surnom de « F40 française » n’est pas usurpé, notamment avec cet aileron gigantesque, et qui ne fait pas de la figuration. Le maître mot est l’allègement et le refroidissement (oui je sais ça fait deux maîtres mots : n’hésitez pas à venir me suivre sur Twitter pour me le rappeler quitte à faire) : la coque est désormais en carbone, les phares sont sous plexiglas, des ouïes discrètes et élégantes permettent d’alimenter les échangeurs air/air devant les roues arrière, une subtile prise d’air orne le bouclier avant…
Le dessin est tout entier au service de la fonction : aller vite. Et c’est ça qui est génial. Je ne la trouve pas belle : aucune élégance, aucune douceur, aucune subtilité, mais elle ne manque ni de personnalité, ni de présence : on dirait une auto de course échappée sur la route, bizarre !
Le PRV, sapé comme jamais
Pour le moteur, on fait appel à EIA, un préparateur qui porte le vénérable PRV à la très respectable puissance de 408 chevaux. Les ingénieurs partent du bloc de la 605 SV24, justement pour les 24 soupapes, et renforcent le tout : pistons, chemises, soupapes au sodium (comme en F1 à l’époque !) et surtout les deux turbos Garett T25 soufflant à 0,95 bars, gestion moteur spécifique (grand malheur des propriétaires de Venturi en général aujourd’hui d’ailleurs).
Petit point technique : les soupapes au sodium, coqueluche des années 70/80/90, sont des soupapes creuses, remplies de sodium liquide facilitant les échanges thermiques, et donc leur refroidissement. La technologie n’est pas nouvelle : elle est utilisée depuis les années 60 et on la retrouve notamment dans le V6 Maserati des Citroën SM et donc Ligier JS2, Maserati Merak, etc.
La technologie a ses détracteurs, qui se hâtent de les remplacer par des soupapes classiques à l’achat de leur auto car les soupçonnant de manquer de fiabilité, mais certains propriétaires roulent avec depuis plus de 20 ans et sur des dizaines de milliers de kilomètres sans soucis. C’est affaire de goût, sachant que le refroidissement ne se porte pas plus mal quand on repasse aux soupapes « classiques ».
La Venturi 400 Trophy, une grosse Caterham
Retour à la Venturi 400 Trophy : Évidemment, et c’est la première chose que l’on voit, la carrosserie et les dimensions ont changé : les voies sont élargies, l’empattement gagne quelques centimètres, le tout pour que la bête soit à la fois conduisible par des personnes normales et adaptée au circuit. Le châssis reste une grosse poutre d’acier, et les trains sont toujours multibras à l’arrière et à double triangulation à l’avant. Le tout est mis au point par Jean-Philippe Vittecoq, qui a également participé à la mise au point d’une autre petite auto de l’époque. Enfin, pour le freinage, innovation : on part sur des freins carbone, une première sur une auto de route (si, si, attendez un peu) : c’est la société Carbone Industries qui les fournit, après avoir travaillé… Sur la Bugatti EB110 ! Décidément…
Les performances de l’auto sont excellentes : avec 1 000 kg seulement, l’auto est rapide et elle accélère fort : 0 à 100 km/h en 4,1 secondes, le 1000 m D.A en 22 secondes (à comparer aux 23 secondes demandées par une 993 Turbo, apparue en 1995, avec 200 Nm et deux roues motrices de plus !) et 290 km/h en pointe. Ajoutez à cela un châssis né pour la course, hyper-rigide, et secondé par un arceau, et vous obtenez une vraie bête de circuit.
Le moteur de la Venturi 400 Trophy développe 408 chevaux à 6 000 tr/min et 530 Nm à 4 500 tr/min. On est en présence de, ni plu ni moins, la voiture française de route la plus puissante et la plus rapide jamais construite. Quand même. Et en plus (ce qui ne gâche rien) c’est une véritable terreur sur circuit : le châssis est celui d’une voiture de course, exigeante mais très rapide.
De la piste à la route
A l’issue du championnat, l’usine a proposé aux propriétaires de mettre leurs autos à la route. Comme souvent chaque fois chez Venturi, cela a été fait à la carte, en fonction des desiderata et du portefeuille du client. Ainsi, outre les obligatoires (klaxon, compteur de vitesse, frein à main, clignotants, éclairage), beaucoup de clients ont demandé à repasser à des freins acier : les freins carbone c’est chouette, mais avant qu’ils soient en température, ils ne freinent absolument pas ! La Venturi 400 Trophy « remise à la route » a tout de même été homologuée avec ses freins carbone (une première mondiale) en vue de l’engager au Mans dans le futur.
Les sièges sont également différents : certains ont voulu garder les baquets, d’autres ont voulu les sièges de la 400 GT, plus confortables. Idem pour les phares : certains exemplaires ont gardé les phares sous glace et d’autres sont passés aux phares de GT, et c’est pareil pour la boîte : dans certains cas, la boîte à crabots Sadev a été conservée. Pas des plus pratiques en ville, mais conforme à l’esprit de l’auto. Ce qu’elles garderont toutes, en revanche, c’est la batterie de fusibles et de relais installés devant le passager, là où pourrait se situer la boîte à gants. De même, on retrouve à l’entrée la barre de l’arceau de sécurité, et la fibre de carbone nue au plafond. Niveau d’insonorisation : zéro, niveau de coolitude : over 9000.
Un cheval bon marché est rare. 408 aussi !
Bref, sur le contingent total de 73 Trophy fabriquées, une dizaine sera converties pour la route par l’usine. Aujourd’hui, on trouve quelques exemplaires qui ont été homologués par la suite, souvent dans des pays étrangers (Belgique, Royaume-Uni), mais il est impossible d’obtenir une carte grise française normale : Gildo Pallanca Pastor, actuel propriétaire de la marque, refuse de délivrer des certificats de conformité.
La solution est donc le passage en carte grise collection, mais le plus dur, disons-le tout de suite : ça va être d’en trouver une. D’ailleurs si vous êtes propriétaire et que vous envisagez de vous séparer de votre Venturi 400 Trophy immatriculée, on peut en discuter (c’est une demande sérieuse, détails en MP, et -je sais que les sympathiques membres de l’excellent site web communauté-venturi me liront- n’hésitez pas non plus à me corriger si j’ai dit des bêtises !).
Venturi 400 GT, la version routière
Comme pour la Jaguar XJR-15 (mais en version moins extrême quand même), la 400 GT est l’extrapolation routière de la voiture de course, et aura un parrain de marque, en la personne d’Henri Pescarolo. Extérieurement, les changements sont surtout au niveau des phares, avec l’adoption de ces magnifiques phares semi-pop-up (appellation déposée ©Hoonited.com), des rétroviseurs, rehaussés sur la GT, et de l’arrière, avec un détail connu uniquement des plus pointus spécialistes : c’est marqué dessus (quoique certaines aient été désiglées comme de vulgaires 318d, heureusement on ne recense pas encore de Venturi 400 GT avec badge ///M).
Dedans, c’est la 400 Trophy, mais avec un véritable intérieur de GT (exit la batterie de fusibles et relais devant le passager, maintenant on a une boîte à gants ! Wouhou !). Le tableau de bord et la console centrale sont entièrement plaqués de bois ou de carbone (au choix) et les compteurs sont bien intégrés. Les rétroviseurs sont à réglage électrique (comme dans la Trophy) de même que les commandes de vitres (pas comme dans la Trophy), dont certaines n’ont même pas les vitres descendantes.
« Si vous demandez combien ça coûte c’est que vous n’en avez pas les moyens »
Les sièges sont de magnifiques Recaro A8 tendus de cuir, tout comme une bonne partie de l’habitacle. La climatisation est présente et automatique, il y a une radio… le grand luxe, en bref. Grande nouvelle, la Venturi 400 GT propose de série les freins carbone de la version compétition, avec leurs avantages… et leurs inconvénients, d’ailleurs l’usine proposera des freins acier en cours de production.
Il reste que la Venturi 400 GT a été la première voiture de série à proposer des freins carbone au monde (techniquement c’était la 400 Trophy, mais comme elles n’étaient accessibles qu’à ceux qui avaient couru avec, la GT est la première à les proposer sur une vraie routière). Cocorico ! Il y a même eu une « phase 2 » de la 400 GT, avec des feux ronds et quatre sorties d’échappement (au lieu de deux) et, à mon humble avis, c’est très moche. Son prix à sa sortie ? 818 000 francs. Une paille.
Mais combien ça coûte une Venturi 400 Trophy ? Et une GT ?
Hé bah c’est comme tout… ça coûte ce que les gens sont prêts à y mettre, et ce que les autres gens sont prêts à recevoir pour vendre leur petit bijou ! La bête est rare, avec 13 exemplaires en GT, 2 en GT phase 2 et un dizaine d’exemplaires de Venturi 400 Trophy remises à la route par l’usine. Côté prix, on est dans des zones assez basses si on prend en compte les performances et la rareté de l’auto : en 2019, RM Sotheby’s a en effet vendu une 400 Trophy remise à la route ayant appartenu à Hervé Poulain et décorée par César pour le vil prix de 133 000 €, frais compris !
Aujourd’hui, on serait plus autour de 150 000 € pour une Trophy de course, 190 000 € pour une Trophy remise à la route, et un bon 270 000 € pour une GT. Mais les transactions sont tellement rares, souvent de gré à gré donc non traçables, que c’est très difficile à estimer. Niveau effectifs, il y a eu 73 Venturi 400 Trophy construites dont une dizaine remises à la route par l’usine (cela a son importance, car il y a des exemplaires qui ont été immatriculés par des indépendants, et dans des pays pas très regardants, par exemple de l’autre côté de la Manche) et 7 qui ont été transformées en 500 LM (voir plus loin). On peut y ajouter 17 Venturi 400 GT (12 série 1 et 3 série 2), dont 2 châssis de Trophy transformés en GT.
La 400 et ses nombreuses variantes de course hors Trophy
La Venturi 400 Trophy a eu plusieurs déclinaisons en course, en commençant par la reine d’entre elles : les 24 heures du Mans. Pour y participer, l’usine développe donc une nouvelle auto, dérivée de la 400 Trophy, qui aura un nom au moins aussi original : elle fait 500 chevaux, elle courra au Mans, on va l’appeler 500 LM. Le département « nomenclature des modèles » a clairement été le plus touché par les restrictions de budget, et ce depuis la naissance de la marque. Bref, la 500 LM est une 400 très modifiée : moteur reculé avec carter sec, châssis allégé et rigidifié, suspensions modifiées, porte-moyeux à écrou central, pour les plus importantes.
Elle sera suivie par la 600 LM, puis la 600 SLM (Super Le Mans). Malheureusement, les résultats ne seront jamais là et le rêve de gagner le Mans ne se réalisera jamais pour la marque. Venturi développera également une 400 GTR, avec des suspensions de 500 LM mais limitée à 450 chevaux pour courir dans une nouvelle catégorie GT, et la 400 Trophy connaîtra même les joies de la course sur glace dans une version à quatre roues motrices et directrices qui courra au sein du Trophée Andros, sans résultat notable.
Concluons (j’ai pas trouvé de titre sympa)
Bref, la 400 Trophy a encore été une auto remarquable, sortie par une marque qui n’a pas vécu très longtemps, et qu’on a un peu oublié avec le temps… C’est le genre d’histoire que j’aime. Des histoires de passion, de trucs un peu fous, qui finissent parfois mal, mais qui laissent de beaux souvenirs. La marque a cependant la chance d’avoir une vraie communauté de passionnés pour la faire vivre, avec notamment un recensement de presque tous les exemplaires existants, qui constitue une mine de savoir et d’échanges pour qui a ou voudrait avoir une Venturi. La marque n’est pas morte, elle vit par ses propriétaires, et ça n’est pas près de s’arrêter.
Toutes les photos de la Venturi 400 Trophy
Crédit photos : Gérard Godfroy, Ouest-France, Aguttes, The Cultivated Collector, Daniel Delien